"A reprendre mes couleurs

Les odeurs de la vie

Dans la chambre une lueur

-Eclat de l’œil du chat

Figue datte pomme poire

Une aile d'or en travers

De mes doigts déformés

Reprendre le désir

Moins entendre

Mieux voir

Moins entendre

Mieux voir"

Extrait de mon journal, juste avant... quoi?

Plongée vers le ciel, extrait de journal

 

...et la lune était indécente de clarté. Les galets et les rochers brillaient -alternance de matité  et de reflets dans ma nuit claire. La ligne droite d’un avion traçait un diamètre impeccable traversant le halo de ce soleil nocturne. L’espace de trois secondes ce bijou méchant de perfection m'a offert la vision d’une fibule géante dans le ciel d’un amour qui n'a pas éclos. Je l'ai tué cette nuit en écoutant la mer respirer l'espoir qui nous liait. Les éoliennes les balises la lune faisaient trembler entre ciel et eau des lueurs incertaines. J’écoutais le flux et le reflux.

 

 1997-2019

 

 

« Le poussin jaune, le fantôme du chat et le sourire de ma mère »

 

Maman est enfermée dans son corps et les ailes de ses mains caressent le vide. Elle communique en pointant le doigt vers nous et elle écoute les yeux fermés, lorsqu’elle parvient à les ouvrir elle voit des oiseaux des chats et ses enfants.

 

Maman lève les mains pour caresser le chat qu’elle voit près de son lit dans cette maison d’accueil ou elle n’a pas de chat.

 

La dernière fois que Maman a pu sortir, un grand félin, au poil ras, gris et blanc, la démarche raide dans les épaules et la foulée souple dans les hanches, s’est allongé sur ses genoux lorsque je l’ai soulevé et elle a dit dans un souffle « il est très beau ton chat ». Le soleil brillait, elle en avait dans ses yeux bleus Finistère quand je lui ai proposé de sortir de sa chambre-  le chat est arrivé dans le parc entre les rosiers au bon moment.

 

Elle pensait être chez nous, sa main se réchauffait, paume attentive et comblée, sur le dos du chat, les cuisses coincées entre les roues du fauteuil et tiédies par le poids du chat.

 

Maman déteste les mensonges au-dessus de tout. Au point d’être dure avec nous parfois à ce sujet.

 

Qu’est-ce que ça peut faire, que ce soit ce chat ou un autre….

 

Ça peut faire.

 

Maman croit que c’est le chat de notre maison. Ce chat était le but de la vie de Maman lorsqu’elle pouvait encore marcher et qu’elle venait chez nous, là où elle avait vécu avant que la maladie ne l’emporte vers des terres d’angoisse souvent, de bonheur parfois lorsque nous la prenons dans nos bras.

 

Maman est enfermée dans son corps et quand elle peut libérer ses doigts elle caresse le dos d’un chat qu’elle voit entre la peau de ses paupières et le halo de ses souvenirs.

 

Ce n’est pas ce chat-là, au poil ras et au mufle long, qu’elle voit. Elle en voit un autre, qui n’est plus visible. Je ne lui dis pas que ce n’est pas le même, que l’autre a les narines roses, les oreilles duveteuses et le poil d’un angora, que celui qu’elle caresse n’est pas celui qu’elle connait.

 

 Lorsque mon compagnon ou mon fils ou ma sœur pousse le fauteuil, je prends la main de Maman et elle pense qu’elle marche, alors que ses pieds sont devenus bots et qu’elle ne peut pas « faire » un pas. Elle sert alors mes doigts pour mieux m’accompagner.

 

Elle ne fait plus ce qu’elle veut, elle qui avait le pas alerte, vif et volontaire, qui nous trainait dans des marches de plusieurs heures, qui gagnait contre nous des matches au tennis et qui était la plus efficace au volley dans une équipe. Elle ne sait plus comment elle voit, elle ne sait plus si elle voit. Elle entend parfois. Elle nous sent.

 

 Elle arrive à me dire : « tu es très jolie dans ta robe ». Je mets cette robe aux motifs géométriques larges et faciles pour qu’elle ait la joie de me faire un compliment. C’était rare les compliments dans notre maisonnée. Les humiliations, c’était plus souvent. Mais cela ne venait jamais d’elle.

 

Je lui dis que ce chat de passage sur ses genoux est très beau, que son poil est long, que sa truffe est rose, que c’est le chat qu’elle connait.

 

Une étrangère, une inconnue, une femme de passage est responsable de mon mensonge.

 

  Autour de la maison qui nous accueille depuis plus de quinze ans vivent trois chats. Ils connaissent leur terrain, il n’y a que des prés aux alentours, ils connaissent le chien noir à collier orange, ils savent parfaitement où ils sont, ils ne se quittent jamais longtemps les uns les autres.

 

Tout ce que Maman souhaite, au-delà de sa vie de douleur et de contrainte, c’est qu’on ne remette pas les barrières à son lit, qu’on ne l’attache plus jamais dans un fauteuil et qu’elle ait un chat.

 

Nous avons tout fait pour que les barrières du lit soient enlevées, qu’elle ne soit plus jamais attachée dans un fauteuil et pour qu’elle pense avoir un chat à elle qui serait resté dans la maison qu’elle a quittée – parfois je le lui apporte en pensée et quand je lui en parle, elle croit le voir sur le balcon dont l’accès est verrouillé.

 

Mais non.

 

Cette femme-là, cette étrangère, cette inconnue qui ne m’est rien, était de passage dans la maison que nous a laissée ma mère et où je ne voudrais accueillir que des gens dont elle aurait aimé la droiture.

 

(Quand je frappe à la porte de cette maison, à chaque fois, je pense que Maman pouvait marcher et qu’elle attendait ma venue)

 

Le lendemain du jour ou l’inconnue est arrivée tout semblait normal, jusqu’à ce qu’une absence se fasse palpable, nous avons cherché ce chat, qui ne se montrait pas, ne répondait pas à l’appel, alors que les autres animaux rôdaient dans la cour, entre les murs de vieille pierre et la glycine en fleurs. Les chats et le chien se rapprochaient de nous à notre appel, mais nous appelions l’absent.

 

Après une nuit d’appel et de qui-vive, j’ai appuyé sur le bouton de la sonnette de la maison mitoyenne ou cette femme était de passage et ou Maman a habité.

 

Elle ouvre, nous nous saluons j’ai imprimé une photographie du chat manquant. Je lui pose la question qui me préoccupe : a-t ’elle vu ce chat ? Mais non me dit-elle, l’autre oui, et un deuxième aussi, celui-là non.

 

J’insiste. L’un va rarement sans l’autre. Ils ne s’approchent pas de la maison quand elle est occupée, ils jouent, se nourrissent et dorment ensemble. Vraiment, elle n’en a vu qu’un ?

 

Un poil rêche se frotte à mes jambes, un aboiement court atteint mes genoux. La jeune femme se penche, attrape vivement un fox-terrier dans ses bras. A mon étonnement, à mon rappel de l’interdiction d’apporter un animal, à ma demande concernant le non-respect des conditions de location elle me répond : il ne va jamais loin, il se méfie, il est borgne. Un chat lui a crevé un œil.

 

Elle ajoute, légère et désinvolte : oh je n’avais pas bien lu les conditions.

 

Depuis, le chat angora, gris et blanc, dont le pelage rassurait la paume de Maman, est invisible.

 

J’ai expliqué plus tard à cette femme l’importance de ce chat ; mais nous n’avons eu aucune excuse, aucune explication, aucune compassion, aucune aide, aucune collaboration pour chercher. L’inconnue est repartie.

 

Les doigts de Maman errent dans l’espace à la recherche du pelage du chat et je lui ai offert un poussin jaune, dont elle perçoit la clarté du poil synthétique et qu’elle a pris contre elle pendant quelques jours.

 

Je suis démunie devant la méchanceté de la désinvolture. Du je-m’en-foutisme. Ce que, enfant, Maman appelait « la mauvaise foi ». Qu’elle abhorre.

 

 

 

 Maman est enfermée dans son corps et les ailes de ses mains caressent le vide. Elle lève les mains pour caresser le chat qu’elle voit près de son lit ou de son fauteuil dans cette maison d’accueil ou elle n’a pas de chat.

 

 Maintenant elle ne parle plus.

 

Je me suis souvent dit : je lui apporterai le chat en cachette. Il était si silencieux et docile avec nous que nous aurions pu le faire. Il me reste le regret de ne pas pouvoir le faire.

 

Juin 2019

 

 

 

1966-2016 - colères-

« Chopin’swaterloo, Arman»

 

Je suis devant ce grand panneau peint  rouge, dans la salle de musée déserte, art contemporain.

Personne derrière moi, personne à mes côtés, « Chopins’Waterlo« et moi.

 

« Chopin’S Waterloo » est accroché au centre Georges Pompidou. C’est un grand assemblage d’Arman.Les morceaux  d’un piano à queue y sont collés et vissés, après que l’instrument eut été disloqué en public.

 

La première fois que je suis venue au centre Pompidou  je me suis sentie tout de suite protégée- j’ai monté et descendu les étages dans les escalators plusieurs fois pour redécouvrir à différentes heures du jour  la terrasse du niveau supérieur et y retrouver Paris. Mon père aimait la lumière de Paris ; Il partait de chez nous souvent pour passer plusieurs jours à Paris. Il logeait dans un hôtel ; Il nous quittait. Il n’aimait pas nous quitter..Il n’aimait pas rentrer ; quand il était chez nous sa colère rampait le long des murs et habillait les espaces ou il se trouvait. Elle le précédait et l’enveloppait ; elle restait comme un parfum quand il avait quitté la pièce ; elle faisait trembler ma mère – la main de ma mère se crispait dans la poche de sa blouse et elle triturait les miettes de sa colère à elle, en silence, dans sa poche, du bout de ses doigts travailleurs, pendant qu’il criait sa colère – à propos de tout

Un pot de moutarde

L’homélie du dimanche

Le catéchisme inexact

Le nez d’un quartier de camembert ou de brie ou de morbier

Un disque vinyle mal rangé dans sa pochette

Une phrase  articulée difficilement par un de ses enfants

Mon père était un homme en colère. Un homme de colère. Un homme nourri de colère.

 

La colère n’est pas un état provisoire. Ce n’est pas vrai. C’est marqué dans le Larousse mais je ne crois plus au Larousse. Tant pis pour le dictionnaire.

 

« Chopin’sWaterloo » sur son fond rouge, me met devant la colère.

Le clavier me fascine.Il est tout bousillé.

 

(A la droite du clavier il  y a des paquets de bonbons ouverts ; tu  ne connais pas ces bonbons-la ; il y a des escargots au réglisse, des carambars, et des bonbons gélatineux. Ils sont posés au loin de ta main droite. A la droite de ta main droite.

Au loin de ta main droite.

Si tu veux en prendre un il faudra que tu demandes la permission. Tu ne sais pas quand tu peux demander la permission. A la fin de l’exercice, à la montée de la gamme ? Tes sœurs, qui sont plus avancées, étant plus âgées, montent leurs gammes sur quatre octaves. Tu n’en fais que deux souvent. Devant toi il y a la méthode Hamon et une partition de Czerny. Avant d’apprendre un morceau  il faut en passer par ces exercices.

Quand tu montes la gamme tu sais qu’au bout de l’octave il y a un bonbon.

Les bonbons ne sont permis que le dimanche, un après le repas du midi. Ils sont dans le tiroir du buffet de la salle a manger. Tout ceux qui ne s’y trouvent pas sont illicites, clandestins, sans domicile fixe et donc défendus. Ce ne sont pas des gélatineux, des réglisses, des transparents et mous et colorés. Ce sont des acidulés ou, plus modernes, des caramels mous aux goûts de fruits. Le plus embêtant ce sont les carambars au bout de ta main droite, parce qu’ils sont emballés et qu’il faudra que le bruit du papier d’emballage soit le plus discret possible.

Tu ne sais pas quand tu auras le droit de  prendre un bonbon. Cela dépend de son bon vouloir.

Tu montes la gamme par demi-tons. 

Ce n’est pas facile de coordonner droite et gauche. Parfois l’une prend le devant et rattrape dangereusement l’autre. (Une de tes sœurs joue un morceau que tu n’identifies pas. Mais elle passe la gauche par-dessus la droite pour toucher deux notes dans les hauteurs et cela te fascine.C’est peut-être de Liszt.Tu guettes de longues minutes pour la regarder comme  si tu en avais le droit mais tes sœurs n’aiment pas que vous restiez les écouter.)

Tu montes donc la gamme par demi-tons ; tu préfères les demi-tons aux tons, la gamme se monte lentement comme un escalier, comme les marches de ciment du début de la côte trompe-souris. Cela te rappelle aussi certaines marches du sentier des douaniers que tu montes en sautillant. Une planche de bois gris, une marche de sable blanc, une noire une blanche.

Et puis tu arrives à la marche finale, celle du bord du clavier en haut à droite, ou sont posés les bonbons. Est-ce que tu en auras un ?

 

La porte est fermée ou poussée au maximum pour ne pas nous déranger. Ton professeur de piano est très strict là-dessus et ta maman pense qu’il ne faut pas gêner la leçon. Nous sommes dans une chambre petite, au dernier étage d’un immeuble. Il y a de la place pour attendre ton tour sur le bord du lit impeccablement fait. Tu attends, ta sœur va avoir droit aussi à un bonbon)

 

Devant Chopins’Waterloo je joue du regard sur le clavier bousillé la mélodie de mon enfance.

 

(Tu as eu le droit de prendre un bonbon. Tu le mâches doucement en rejouant le passage sur lequel tes doigts glissent mal. Un mouvement léger  écarte un tissu que tu portes. Tu te raidis un peu, tu n’es pas bien assise, tu glisses un peu et de toutes les façons tu portes une jupe parce que les filles portent des jupes. Sous ta cuisse se trouve l’épaisseur d’une main d’homme. Le professeur de piano est un homme à la voix douce qui ne se fâche jamais quand tu ne réussis pas l’accord un peu compliqué pour tes doigts de petite fille. Parfois il se penche à ton oreille «  tu ne le diras pas à ta maman ? »)

 

Je suis devant Chopins’Waterloo et l’œuvre est assez grande pour qu’elle emprisonne mon regard ; je n’en vois pas les rebords. Je suis au milieu des débris du piano. Au milieu du piano. Dans le piano et les cordes déchirées.

 

( Le professeur de piano s’écarte un peu et se redresse. Sa main revient lentement sur ses genoux, il range ses longs doigts à côté des tiens qui sont fins.  De l’autre main il prend un bonbon qu’il te tend en silence ; tu n’as jamais le droit de manger des bonbons sans permission maternelle et tu es contente qu’il t’en propose si vite un deuxième.

Un jour ta maman rentre à l’improviste. Tu te dis : pourvu qu’elle ne remarque pas que j’ai un bonbon entre mes molaires, celui-là est difficile à mastiquer et je n’aurai pas le temps de l’avaler si elle me pose une question. Tu connais le mot « molaire » parce que vous avez tous beaucoup de vocabulaire.Nous lisons tout le temps.. Le professeur sourit à ta maman après avoir reposé très vite et très silencieusement sa main sur sa cuisse.

 

C’est défendu de manger des bonbons en dehors du dimanche.

 

Et surtout pendant l’avent ou le carême.

Ta sœur et toi en êtes bien marries.)

 

C hopins’Waterloo, c’est la musique brisée de la vie désabusée, de mon père, la carrière qu’il avait ratée disait-il,les prêtres qui ne suivaient pas ses conseils, les journalistes qui n’écoutaient pas ses conseils, les enfants qui ne savaient pas tenir des conversations d’intérêt général à table , qui ne le lisaient pas. C;'était  un  homme bruyant qui parlait très fort. Il ne pouvait  pas être avec nous et il souffrait de ne pas pouvoir rester avec nous.

 

Ton professeur de piano est d’une discrétion exemplaire.  Sa main aussi. Sa voix aussi quand il se penche à ton oreille, a laquelle il souffle doucement.Mais tu n’as pas le droit de manger des bonbons et il faudra que tu finisses par l’avouer, que tu es gourmande et que tu manges des bonbons en dehors des jours permis. Celle de tes sœurs qui attend assise au bord du lit  est du même avis. D’ailleurs, en tant que grande sœur, c’est elle qui a osé exprimer tout haut ce que tu penses.

 

Nos sœurs aînées : vous n’en  parlerez jamais, d’accord, jamais. C’est nous qui  allons en parler à Maman.

 

Mon père est un homme que nous craignons. Ses colères sont brusques et pour nous inattendues. Nous n’en connaissons pas les raisons et n’en maîtrisons pas les éclats. Nous courbons le dos et cherchons en nous les mots à dire pour ne pas empirer les siens. Parfois l’absence de mots laisse trop de place aux siens.

 

Tu sais que nos sœurs ont

parlé.

 

Quelque chose de grave est en train de se passer. Nous sommes peut-être dimanche, il n’y a pas de leçon de piano et mes sœurs chuchotent entre elles que le professeur de piano doit venir. Nous n’avons pas de raison d’avoir une leçon maintenant. Ou alors les parents ont décidé qu’il y en aurait des supplémentaires ? Mais pas le dimanche, c’est impossible le dimanche, le dimanche est jour de repos. Je n’aurais pas dû parler à mes sœurs des bonbons. D’ailleurs nous ne sommes peut-être pas dimanche.

 

Le professeur de piano est collé contre le mur. Nous voyons ses pieds, puis ses jambes, puis ses mains pendant que nous montons les marches jusqu’au palier. Nous rentrons  et il nous attend. Mon père accélère ses pas ; Il monte vite, il est sportif et il enjambe toujours les marches deux par deux. Maman aussi. Il marche sur le palier jusqu’au professeur de piano. Quelque chose me dit qu’une colère immense et tonitruante se prépare. A la façon dont mon père sert les mâchoires, à la façond ont il sort son portefeuille, à la façon dont il l’ouvre devant l’homme debout, les mains ballantes, l’épaule contre le chambranle et le dos appuyé contre le mur perpendiculaire à la porte d’entrée de l’appartement.

 

Mon père dit - très bas-, les mâchoires crispées, quelques mots qu’il fait tomber le long de sa langue comme un crachat aux pieds du professeur de piano. Je ne comprends pas tout. Le professeur de piano tremble, il a un mouvement du cou   son crâne brille vaguement sous le puits de lumière qui éclaire le palier du dernier étage. Il baisse les yeux, il prend l’argent qui glisse vers le sol, il passe devant nous les yeux au sol et il dégringole l’escalier très vite sans dire au revoir à aucun de nous.C’est la défaite, la déroute, le repli. C’est son Waterloo à cet homme.

 

Il n’y a pas eu un cri, pas une injure, pas un mot  dit fort, pas de gesticulation, pas de discours bousculé et impératif.. On ne reparlera  jamais des bonbons interdits.

 

Il  nous restera Chopin.

 

 

 

 

 

 

 

«  les féveroles d’hiver"

 

Nous sommes les petits les sans grade les riens les vieux

Les vertueux les besogneux

 les arracheurs de salaire les collés à la terre

 

Nous sommes les appelés

Les obéissants les vieux les pelés

Le peuple. Les éteints. Les auditeurs des volontés des puissants,

Des tueurs. Les gagne-rien. Les mangeurs de pain.

 

Nous sommes les allumeurs de bougies les perdus dans l’hiver

En soufflant sur les cendres rougies je rallume le feu

Je retourne la terre

Je tue le temps j’enterre l’ hiver »

 

Journal, novembre 2011

 2017

Les migrants de l'art moderne

Suivant attentivement l’excellente série inspirée par Dan Franck, réalisée par Amélie Harrault, Pauline Gaillard, Valérie Loiseleux en 2015   «  les aventuriers de l’art moderne »,  diffusée sur Arte, je me suis demandée ce qu’il serait advenu si tous ces migrants, plus ou moins fauchés, parfois même misérables, sans famille, sans caution,  avaient dû être reconduits à la frontière, ne réunissant pas les conditions nécessaires pour obtenir la nationalité française. Et donc n’étant pas aptes à travailler sur « notre «  sol.

 

- Louis Marcoussis est polonais de naissance, il arrive à Paris en 1903- Il obtiendra la nationalité française en 1935, à 57 ans seulement

- Chaïm Soutine a gardé la nationalité russe, il arrive à Paris en tant que migrant le 14 juillet 1913 à vingt ans.

- Amedeo Modigliani arrive à Paris en 1903,  à dix-neuf ans, comme Juan Gris, et conserve sa nationalité italienne.

- Guillaume Apollinaire de Kossowitski, né a Rome d’une mère polonaise et vraisemblablement d’un père italien,  voyage au gré des envies de sa mère aventurière et fantasque aux yeux du bourgeois ; il arrivera à Paris en 1902 à vingt-deux ans  et demandera sa naturalisation pour partir  au front en 1914, où il sera héroïque.

- Marc Chagall, né en Biélorussie, arrive à Paris en 1910, repart en Russie, rentre et demande la nationalité française en 1937, à cinquante ans

- Moïse Kisling, arrivé à Paris en 1910 à dix-neuf ans également, s’engage dans la Légion et obtient la nationalité française en 1915 après s’être battu dans la Somme.

- Marie Vassiliev arrive à Paris en 1907, elle vient de Russie, elle est artiste peintre. Je n’ai pas trouvé de mention d’obtention de nationalité française.

- Juan Gris a 19 ans quand il arrive à Paris en 1906.Il n’obtiendra jamais la nationalité française malgré sa demande.

 

Et d’ailleurs…

 

Voici le cas de Pablo Paul Diegue Joseph François Jean Nepomucene Crépin de la Très Sainte Trinité Ruiz y Picasso, dit Pablo Picasso.

« Débarqué à Paris, le 5 mai 1901, pour sa première exposition, il fait, dès le 18 juin, l'objet d'un rapport du commissaire de police chef de la 3e brigade, adressé au directeur général des Recherches. «Objet: au sujet du nommé Picasso Ruiz Pablo, à qui l'anarchiste surveillé Manach Pierre donne asile.»

 

[Dans la liste des questions destinées à étudier la demande de Picasso, le 3 avril 1940 :]

 

«Constitue-t-il, en raison de ses aptitudes professionnelles, un apport intéressant pour la collectivité? - Oui.» Conclusion générale du commissaire: «Bons renseignements. Avis favorable.» 

 

« La préfecture de police signe [donc]un avis favorable, mais les renseignements généraux jugent « [indésirable] ce « peintre soi-disant moderne, qui a placé son argent à l'étranger» Bref, il «doit être considéré comme suspect au point de vue national» et «n'a aucun titre pour obtenir la naturalisation». 

 

Ainsi nous renseigne un article absurde et très sérieux de l’Express, se basant sur un rapport que le NKVD puis le KGB se sont approprié à la fin de la seconde guerre mondiale, après que l’Allemagne ait confisqué les archives de la Sûreté nationale, du ministère de l’intérieur et de la préfecture de Police en 1940 pour les stocker à Berlin, en Tchécoslovaquie et enfin en Basse-Silésie.

 

Pablo Picasso a donc  demandé la nationalité française le 3 avril 1940 et ne l’a jamais obtenue. Il adhèrera au Parti Communiste en 1944.

 Et tous ces pauvres types, ces migrants, ces errants, ces sans-le-sou, sont les fondateurs de l’art moderne.